mardi 29 août 2017

Ah, vous aussi vous connaissez La Saucisse...





Ah, vous aussi vous connaissez La Saucisse... l’connaître, c'est un bien grand mot, depuis pas loin de trente ans qu'il descend et remonte chaque jour le chemin qui descend aux prés d’la rivière, j'ai à peine entendu le son d’sa voix... juste un bonjour de temps à autre et puis ses cris qui m'ont alerté le jour où il a été coursé par la vache grise... c'est moi qui l'ai trouvé mort dans l'fossé dans l'virage y'a trois jours en emmenant les vaches dans l'pré du bas... moi, je l'ai connu à la Communale, on l'app'lait pas encore La Saucisse... j'sais pas comment ça lui est v'nu "La Saucisse", il était pourtant pas grand... son nom, c'était Henri Descours et d'ailleurs c'est aux Cours qu'il habitait avec sa mère qu'était veuve de guerre... on savait pas d'où ils venaient mais ils s'étaient retrouvés là tous les deux, seuls pour ainsi dire... son instituteur qu'était aussi le directeur d'l'école disait qu'il avait des capacités; il l'a poussé jusqu'au certificat d'études... les études il est allé les continuer dans une  grande ville, laquelle ? j'en sais rien... à une époque j'ai entendu dire qu'il était dev'nu avocat... à c't'époque-là on l'a plus revu ni aux Cours ni dans la région... il est réapparu quand sa mère est morte... on l'a retrouvée pendue dans la remise... c'est là que tout a commencé... commencé, c'est une façon de parler, ça a plutôt été le début de la fin... il est rev'nu pour l'enterrement... il s'est tenu seul sans une larme au bord de la tombe fraîchement recouverte de la lourde terre du cimetière... il est rentré à la maison des Cours et y a mis le feu dans l’soir tombant... on l'a retrouvé hagard dans Chez l’Écuyer... depuis on ne l'a plus entendu prononcer le moindre mot si ce n'est pour acheter son paquet de gris chez la Stefka et parfois y commander une chopine de rouge... le pauv'vieux, on le verra plus su'l'chemin, la clope au bec et la chopine dans la poche... il est parti avec ses secrets...

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Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2016 : « Personnages 4 | avec Nathalie Sarraute et le fameux Bréhier » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.




mardi 15 août 2017

Et si d’une seule phrase on explorait toute la complexité d’un personnage



 


Tours, Jardin Botanique, c'est le 14 juillet, il fait très chaud, de l'autre côté de la route, l'hôpital, le vieil homme est assis sur un banc, en blouse verte, à son poignet un bracelet avec son nom, dans le pli du coude un cathéter, ce matin l'infirmer lui a fait un prélèvement pour un bilan sanguin puis lui a mis des sangles pour la perfusion sinon il l'arrache, ça lui a redonné des forces ; quand ils ont eu le dos tourné, occupés qu'ils sont à courir dans tous les sens en ce jour férié où la pénurie de personnel se fait sentir plus encore qu'en temps dit normal, il pense qu'il fait trop chaud dans la chambre, qu'il est trop seul, qu'il va aller faire un tour pour s'aérer ; toujours des qui se croient utiles, un couple a appelé l'hôpital qui a prévenu la police -oui, il n'en est pas à son coup d'essai, et alors- et une femme, qui se promenait seule, à qui il a rappelé son père qui avait réussi à fuguer de l'EHPAD pour rejoindre la maison où il avait habité pendant plus de quarante ans, a alerté les pompiers ; maintenant, il est entouré de quatre pompiers et de quatre policiers, ils essaient de le persuader de retraverser la route en sens inverse, il ne dit rien mais résiste de tout son poids, il finit par se laisser convaincre, par céder, il se lève difficilement, son corps ne veut pas accomplir ce que son esprit n'a pas accepté, il se laisse pourtant conduire jusqu'à l'entrée où les pompiers l'allongent sur un brancard -tout ce cinéma pour traverser la route, pense-t-il- ni les pompiers ni la police n'ont le temps de le raccompagner à pied ; la prochaine fois qu'il voudra respirer l'air non empuanti des miasmes (in)hospitaliers, voir un morceau de ciel bleu autrement que dans le cadre d'une fenêtre et entendre chanter les oiseaux, il fera comme son vieil ami, il y a un an.

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Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2016 : « Personnages 3 | tout Mauvignier en une seule phrase » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.









samedi 12 août 2017

mardi 1 août 2017

Dans le métro ce matin : triptyque de personnages vus de trop près



1 – Chargée de sacs nombreux et volumineux, visiblement en surpoids, elle mange un de ces épis de maïs grillé au-dessus d'un chariot de supermarché qu'elle a acheté avant de descendre dans le métro. Elle regarde un grand plan du réseau RATP ; elle ne porte pas de lunettes, sans doute par coquetterie, elle joue de la longueur de ses bras pour tenter de s'y repérer, avec le mini format, elle ne s'en sortirait pas.

2 – Malgré les averses aujourd'hui sur Paris, il porte des tongs et un boubou estival et moderne, imprimé de formes stylisées, aux teintes très claires. Il met dans la rame, où chacun a le regard vissé à son smartphone ou se précipite qui vers une place libre qui vers la sortie sans un regard pour autrui, un air de légèreté et d’élégance. Quand il descend à son tour, c'est comme si une étincelle de grâce s'éteignait.

3 – Le couloir de la rame est étroit. Chargé d'une sacoche à ordinateur, elle en contient un qui n'a rien de portable, il se précipite vers une place qui se libère bousculant une dame restée debout et dans un grand geste pour s'asseoir m'en aurait donné un coup si je ne m'étais collé à mon voisin de siège. De son parapluie dégoulinant, il éclabousse sa voisine d'en face. Il sort son téléphone portable de la poche gauche de son blouson en jean et appelle quelqu'un pour lui dire qu'il sera en retard à la station Reuilly-Diderot où ils ont rendez-vous. En se dirigeant vers la porte pour descendre, il écrase l'épaule de ma voisine d'en face avec la sacoche. Maladresse ou impolitesse ? Par chance, le temps de ce voyage égoïste dans ce transport en commun a été court.

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Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2016 : « Personnages, 2 | Dans le métro ce matin : triptyques de personnages vus de trop près » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.