jeudi 28 juillet 2016

Vertige(s)… (back to basics, 4 | Artaud en juste 100 mots)



Raideurs douleurs chroniques = arthrose… craquements enraiements des articulations – le côté droit, celui qui est lié au père au masculin.

Côte fêlée - respiration toux mouvements > douleur aiguë - cri ténu presque inarticulé > soulagement… toute douleur désormais amoindrie par le cri.

Persistance du corps clameur intérieure - gargouillements grondements - bruits sang - bourdonnements sifflements d'oreilles vertiges.

Vertige de la vie de la mort reçues en héritage - tumulte du corps tumulte de la conscience.

Viendra le jour du calme du silence – viendra le jour il approche où Calliphae vicina et Lucilia caesar se régaleront de l'exquis cadavre.





Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2016 : « back to basics, 4 | Artaud en juste 100 mots » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.







vendredi 22 juillet 2016

J'ai grandi dans une cité minière… (back to basics, 2 | autobiographie aux noms propres)




Cartes : Cassini ; Cité de l'Essertot et « Par date de construction »
 In « Les cités ouvrières des Mines de Blanzy : 1837-1939 de Frédéric Lagrange ; Google Earth.



Jusqu'à mes six ans presque et demi, époque à laquelle est né mon jeune frère, le queulot de la famille, j'ai habité à Chez l'Ecuyer, un nom qui reste pour moi plein de mystères.

Ensuite, j'ai grandi dans une cité minière. Quand je dis ça, on pense tout de suite au Nord. Eh bien non, j'ai grandi en Bourgogne, en Saône-et-Loire, près de Montceau-les-Mines, à Saint-Vallier plus exactement, dans la Cité des Gautherets.

Elle n'existait pas du temps de Cassini. Ma grand-mère qui est née à la ferme de l'Essertot, d'en bas ; il y avait aussi celle d'en haut où habitait son frère et ses neveux, l'a vu construire à partir des années 1920.
Au début, elle accueillit surtout des immigrés d'origine polonaise qui venaient travailler dans les mines où trouver de la main-d’œuvre était difficile suite aux pertes de la Première Guerre mondiale. Les puits portaient des noms de saints : Claude où se trouve aujourd'hui le Musée de la Mine de Blanzy, Louis, Barbe -si elle est connue pour être la patronne des sapeurs-pompiers, elle est aussi celle des mineurs, Elisabeth ; celui des lieux où ils étaient aussi. Le dernier à fermer, en 1992, fut celui de Darcy. Il ne resta alors, pendant quelques années encore, à Saint-Amédé ce qu'on appelait « la découverte » c'est-à-dire la mine à ciel ouvert.

Dans ma tête et mes jambes, je l'ai tant parcouru aussi bien à pied qu'à vélo, la Cité dessine un escargot entouré par le boulevard de Verdun dont la cité ne débordait pas trop.
Les rues portent presque toutes des noms de découvreurs et d'inventeurs :  Jacquard, Pasteur, Arago, Lavoisier,… avec quelques exceptions littéraires : Molière, La Fontaine, Corneille et quelques rappels des origines polonaises de ses habitants : Varsovie, Koscuiszko, Sobieski, Copernic, Rybnick. Et puis, la rue de l'Essertot, le chemin de la Verrerie et l'avenue de la Marne qui fait triste écho au boulevard de Verdun.
La ligne, un chemin à peine carrossable, qui conduisait au stade de Saint-Amédé, parallèlement à l'avenue de la Marne et dont j'ai découvert il y a peu de temps qu'il s'appelait Allée des Charmilles.

Moi, j'habitais la rue Nièpce, c'était facile pour indiquer le chemin à ceux qui venaient nous rendre visite puisque c'était celle de la chapelle. Cela permettait au béotien de se repérer dans ces rues et dans ces maisons le plus souvent jumelles qui lui paraissaient toutes identiques.
Le nombre de pièces et la disposition des logements étaient très variables. Nous en habitions un avec une annexe cela faisait un 4 pièces ; en haut deux chambres, en bas, en-dessous, la cuisine et la salle à manger et puis la fameuse annexe distinctive… des autres types de logements.

Dans la Cité, deux frontières. La première est plutôt floue ; en effet, la Cité s'étend pour un tiers sur la commune de Sanvignes, le reste sur celle de Saint-Vallier dont les habitants qui s'appelèrent longtemps les Saint-Vallériens sont devenus les Vallérois il y a quelques années, laïcité oblige sans doute.
Et puis il y a celle qu'on appelle « la Grande route » qui sépare la cité en deux. C'était la GRANDE ROUTE où se concentraient les principaux commerces et trois cafés dont un seul existe encore aujourd'hui, celui de l'Olympia qui jouxtait le cinéma du même nom . L'affiche du dernier film à avoir été projeté resta longtemps sur la façade : « Deux hommes dans la ville » avec Jean Gabin et Alain Delon, souvenir d'un temps révolu.
La grande route, c'est l'avenue Max Dormoy du côté Saint-Vallier qui se prolonge par l'avenue de la République sur Sanvignes.

Enfant, je franchissais rarement la limite de la grande route sauf pour aller à l'école de filles ; c'est aujourd'hui la seule école primaire qui reste dans le quartier ; l'école de garçons étant devenu un lieu que se partagent différentes associations et un espace communal. Elle porte aujourd'hui le nom de Jean-Pierre Brésillon qui fut mon professeur, trop tôt disparu, de français et d'histoire-géo au collège Nicolas Copernic.
Il suffisait aussi de la traverser pour faire des courses et se rendre chez le médecin qui partageait un grand bâtiment, l'ancienne « Goutte de lait » avec les sœurs et le dispensaire où nous allions pour les petits bobos voir le Valomi, c'est ainsi que nous appelons l'infirmier, et la sœur Warsova.

Dans les années 1970, seront construites la route express dont le nom véritable est RCEA (Route Centre-Europe Atlantique), elle passera juste derrière les deux fermes de l'Essertot, on entend depuis la Cité le flot presque continu de la circulation et la cité du Bey, les premiers immeubles que connaîtront Les Gautherets. Là, les noms des rues sont ceux de femmes célèbres du 20ème siècle : Berthe Morisot, Colette, Maria Montessori, Hélène Boucher, Sarah Bernhardt.

Au-delà, la rue des Puits, où il n'y en a plus, est aujourd'hui le seul chemin pour se rendre directement à l'hôpital tout proche ; pour ce qui est de son nom à lui, il a varié dans le temps et l'usage que chacun en fait dépend souvent de son âge : Hôpital de Galuzot ou Hôpital Jean Bouveri mais aujourd'hui son nom officiel est Hôpital de Montceau alors qu'il est sis sur la commune de Saint-Vallier. C'est dans un de ses bâtiments aujourd'hui presque abandonnés que je suis née ; il y avait dans ce qu'on appelait « le petit château », l'ancêtre de la maternité qui aujourd'hui a été regroupée avec celle de l'Hôtel-Dieu du Creusot. Tout cela est une autre histoire.



Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2016 : « back to basics, 2 | autobiographie aux noms propres » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.





mardi 12 juillet 2016

Terminus : Orme au(x) chat(s)





Je suis cette trajectoire une ou deux fois par mois en revenant d'aller voir ma famille en Bourgogne. Le TGV part vers dix-huit heures ; la plupart du temps il fait noir alors je ne vois rien des paysages qui de toute façon défilent si rapidement qu'on ne fait presque que les imaginer.

Ce soir, après la lecture de quelques pages de Francis Ponge pour préparer le troisième atelier d'été de François Bon… La sensation que je ne suis pas à la hauteur, que cela ne va pas être facile même si j'ai déjà choisi l'objet et écrit quelques fragments lors du trajet aller.

J'ai déposer le livre dans le filet devant moi et je me suis mise à regarder le paysage… l'esprit vide. Quelques bottes de paille cylindriques et le souvenir d'un court poème de Guillevic :

« Vus d'avion il y a
Des quadrilatères
Qui quadrillent la terre »

ont éveillé en moi un désir d'écrire rarement ressenti.

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Sur la pente abrupte,
de lourds cylindres de paille
dans les starting blocks.

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Entre ombre et lumière,
comme un visage... une âme ?
Là, dans le ciel gris.

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Les nuages défilent
entre les lignes électriques.
Le temps du retour.

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Le soleil se couche,
les vallons de blés coupés
comme irisés d'or.

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Ligne bleue qui file...
Juste un autre TGV
devant ma fenêtre.

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Dans l'air frais soufflé,
imaginer sur la nuque
la douceur du soir.

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Le tunnel est court
mais les oreilles bourdonnent.
Des jours, traces pâles.

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Vapeurs de la pluie.
Sous l'horizon qui s'efface ;
devine l'odeur.

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Arriver à Paris...

Les zones artisanales poussent comme des champignons.
La circulation se fait plus denses sur les routes parallèles.
Les zones pavillonnaires s'agglutinent autour de vieilles églises.
Près du bassin de la SIAAP, une main et un œil sur des silos cylindriques.
Les seules lumières dans l'atmosphère devenue grise : celles d'un magasin de luminaires.
Ralentir sur les voies partagées avec les RER ; passer en gare de Maisons-Alfort-Alfortville ; apercevoir les personnes sur le quai. J'y descendrai dans quelques minutes pour attraper le bus qui me ramènera jusque devant chez moi.

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Rails multipliés.
Approche Gare de Lyon.
Ranger le carnet.

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La pluie, les travaux...
Bus : indications floues.
Retour en une heure.

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Il y eut un orme et des chats,
Il y eut un arrêt de bus et un seul chat,
Il reste l'orme dans l'impasse.

Terminus : Orme au(x) chat(s) !
















vendredi 1 juillet 2016

Vases Communicants du 1er juillet 2016 : Invité : Giovanni Merloni : "Un cri qui vient de loin"





Pour ces Vases Communicants de juillet, nous avons choisi, Giovanni et moi, d'écrire un texte à quatre mains, librement inspiré par la sculpture "Rejection" de Louise Bourgeois dont "[l]es œuvres […] brisent et touchent à la fois".






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MN

Du fond du puits de l'enfance, d'une fissure dans le temps et dans l'espace, me reviennent les cris de ma mère couverts par le silence et le regard gris acier de mon père.

Toujours cette menace qui guette… les cris fracassants de silence ou assourdissants de colère. Ils infestent mon corps et hantent mon cerveau dans l'attente de la libération.

Moi-même comme le cri, se délivrer des angoisses et de la rage dans le silence ou la fureur, imploser ou exploser pour accéder au vivre…


G

Le cri de la mère, jaillissant du corps creux d'un arbre millénaire, avec sa force ancestrale, menaçante même, cela évoque en moi les voix bruyantes des femmes de la tragédie grecque ou de Sicile...
Je me souviens d’un film au ralenti, "Salvatore Giuliano" de Francesco Rosi (1962), où le chœur assourdissant des femmes en noir hurle devant la flagrance de la mort. Un cri paradoxal et violent, d'autant plus bouleversant que l'on sait que Giuliano est l'un des responsables du massacre du 1er mai 1947 à Portella della Ginestra, une fusillade qui causa onze morts et vingt-cinq blessés, une des premières fractures dans le corps nouveau-né de la République italienne ! Il n'y a rien de plus humain, donc de contradictoire, dans un cri de douleur évoquant dans nos esprits la sensation d'une vaine rébellion, d'un feu qui crépite longuement avant de s'éteindre.
En contrechant, je ressens le silence assourdissant des photos immortelles et des fleurs parcheminées autour du corps du Che... un silence où le cri de chacun est englouti dans un inaccessible trou de lumière, miraculeusement soustrait à la fiction cinématographique.
Et encore le cri de ma mère, un cri retenu, solitaire qui pendant un instant fit sursauter la tête grande ou petite de mon père dignement étendu après avoir subi les coups de la faux assassine frappant rudement contre sa faible porte de papier et d'étoffe.


MN

Le cri retenu, étouffé finit par déferler, le séisme intérieur déchaîne les mots enfouis au fond du gouffre ; lâcher ce qui est là tapi, laisser jaillir les mots prisonniers dans les abysses de la gorge.

Le silence, comme un chant à naître, résonne dans les profondeurs de la poitrine ; il remonte à la surface, avec le passé. Au commencement, il s'extrait de la voix ; affleurent du néant des murmures éteints, comme asphyxiés. Et soudain, surgit le cri, résonnant dans et du silence ; affluent la rage et la révolte, l'indicible se mue en cri, un cri bouleversant qui déchire le silence dénudant la souffrance enfouie, ouvrant la porte et libérant la menace.

Commençons alors à panser les plaies en laissant la place au Verbe.


G

Ce masque "expressionniste"de Louise Bourgeois fait aussi déclencher, en moi, le souvenir d'une longue rêverie suspendue dans des limbes étranges et secrets qui prend le nom de Luisa S. Oui, une Italienne qui encore vit, heureusement, dans ma Romagne chérie, demeurant à jamais attachée à la rétine agitée de mon corps en forme de cœur. Sans doute, au contraire de Louise B., Luisa S. n'a jamais eu le courage ni l'envie de trop chercher dans les tréfonds de son animalité joyeuse et pourtant maîtrisée. Lors de mon enfance agitée, depuis son vase-cerveau, elle m'a communiqué -comme Louise B.- l'écho d'une recherche incessante d'équilibre et, en même temps, d'une lagune de passions. Nous vivons dans l'attente d'un cri, de notre cri intime qui sera notre voix.
La voix de contralto de Luisa, l'élégance sobre de ses valises parfumées, la simplicité de ses jupes et de ses chandails, la fumée de la cigarette vaguant autour de sa bouche entrouverte... Par une légère inquiétude, ses gestes charismatiques me laissaient découvrir l'essence du mystère : en chaque homme il y a une femme, tandis qu’en chaque femme il y a un homme !
Ces deux pôles s'enchevêtrent à l'infini, obligés de se contenter de trêves provisoires qui seront bien sûr constellées de haussement d'épaules (en France) et de gestes larges des bras (en Italie). Ou alors des cris silencieux de joie et de chagrin comme celui de Louise B., où un regard qui vient de loin s'ajoute au drame violent et proche de l'animalité qui est en chacun de nous. On ne peut pas tout raconter !


MN

Pansé à la hâte, le visage aux lèvres grandes ouvertes sur l'intérieur, aveu du silence dans lequel résonne l'angoisse qui colle au ventre et envahit de ses tentacules l'être tout entier.

Dans l'obscurité profonde, se tapit le silence, enchaînement à la douleur ; absence électrisée, présence palpitante.

Sans regard, les yeux arrachés et vides, le corps absent... j'entends le silence qui appelle à être crié, le silence qui crie si fort que subitement j'en suis comme sourde. Mais le vide des yeux contraint le regard à se détourner pour n'être plus qu'à l'écoute du grand cri, du pur cri… Et soudain, une énergie intacte jaillit, le silence se rompt… Le cri ultime, le fracas aveuglant d'un appel : M'entends-tu ? Ouvre, je ne peux pas rester enfermé !

Éjaculation ! Laissez la place au Verbe !

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François Bon a été à l’origine de ces échanges le premier vendredi de chaque mois, que j’ai découverts alors qu’ils étaient coordonnés par Brigitte Célérier ; Angèle Casanova a pris le relais à partir de novembre 2014. Je remplace Angèle depuis le mois de novembre dernier.




Aujourd’hui, c'est avec un très grand plaisir que je publie ce texte écrit à quatre mains avec Giovanni Merloni, "Un cri qui vient de loin", chez La dilettante.


Je le remercie chaleureusement d'avoir accepter ma proposition et d'en partager l'aboutissement sur son blog : Le portrait inconscient.